mardi 2 octobre 2007

Gard'rien


S'il y a une spécificité bien égyptienne, peut-être moyenne orientale - j'en sais rien ! -, c'est sans doute le Bawab. Mais, kéke c'est un Bawab ? Le bawab, c'est le gardien, le cerbère de l'immeuble où l'on crèche. Alors, comment qu'on reconnaît un Bawab ? Simone, c'est très simple. Tout d'abord, le Bawab est toujours, je dis bien toujours, vêtu d'une Djellaba. Sans doute parce que le costume évoque irrésistiblement un long pyjama, que c'est confortable, et qu'on ne doit mettre que quelques secondes à l'enfiler. Parce que, généralement, le bawab, l'en fout pas trop. Alors, bien sûr, c'est pas non plus un fonctionnaire de la SNCF. On est en Egypte ici ! Pas de ça chez nous ! Manquerait plus qu'il y ait un syndicat de bawabs ! (Comme vous pouvez le constater sur la photo, nous assistons ici à une réunion au sommet de deux bawabs, fournissant un travail démentiel, en arpentant la corniche).

Son cadre de vie, son lieu de travail se concentre à l'entrée de l'immeuble. Installé sur un banc, il papote avec les gens du quartier, se tenant dans deux positions bien distinctes. Tout d'abord, assis, une jambe repliée sous son avant-bras, l'autre pendant mollement devant. Il a alors le dos plaqué contre le mur et dodeline de la tête comme s'il venait de terminer sa sieste. La seconde position est nettement plus offensive, et prouve cette foi indestructible dans les vertus du travail, que porte en lui l'amical gardien. Il... s'allonge. Mais ne rechigne pas à tourner la tête de temps à autre, pour surveiller les allées et venues des habitants. Parce que, c'est aussi lui la voix du quartier. Mine de rien, mieux vaut ne pas froisser son bawab. Il racontera partout que vous forniquez à tout va avec des prostituées djiboutiennes, et que, si vous demandez Internet, ce n'est qu'à des fins lucratives : vendre des productions cinématiques accomplies lors de vos dernières débauches. Car, il fait la pluie et le beau temps. Tout le monde l'écoute, tout le monde le respecte, et croit aveuglément à ses paroles pleines d'une sagesse toute subjective. Dès lors, je me montre poli, voire carrément enchanté lorsque je croise l'indolente sentinelle. Après force courbettes et "Chokran" mielleux, on se sent rassuré. Et, Dieu soit loué, je ne parle pas Arabe, ce qui me permet de ne pas comprendre les revendications parfois bizarres du bawab. J'ai eu l'occasion d'observer deux bawabs. L'un d'eux réclama un jour un rasoir !

Le bawab est à l'image de ce pays. Il s'agit d'abord d'une société féodale, acceptant les castes, et les classes sociales. Renonçant aussi à briser les frontières. Chacun appartient à un groupe délimité, précis. Et, il ne faut pas espérer pouvoir transgresser ainsi les règles. Le bawab, qu'il soit amical ou non, incarne le rôle du souverain père, auquel il faut dire "Amen", lorsqu'on le rencontre. Comme une doléance...

Cependant, il n'y a rien, aussi, de plus souriant que cette fonction. Endormi sous son acacia, il incarne ce bonheur simple de laisser le temps filer. Et, cela aussi, c'est très égytien...

C'était, par ailleurs le sentiment de Flaubert, lorsqu'il partit visiter l'Egypte, à l'âge de 28 ans (sic !). Je vous cite juste un court extrait, ça vaut son pesant de cahouètes : "On vit dans une torpeur parfumée, dans une sorte d’état somnolent, [...]. Mais on n’est pas gai; on rêvasse trop pour cela. Rien ne dispose plus au silence et à la paresse. Nous passons quelquefois des jours entiers, Max[ime] et moi, sans éprouver le besoin d’ouvrir la bouche."

Ben voyons... Alors, question : le bawab a-t-il lu la correspondance de Flaubert ?

Aucun commentaire: