vendredi 26 octobre 2007

Partir...

Retour en Egypte, après une semaine française. J'ai espéré voir la pluie en France, et Octobre n'a pas été automnal ! Pire encore : il a plu au Caire pendant mon absence ! Le balcon était recouvert d'une épaisse pellicule de poussière lorsque je regagnais mes pénates orientales. Et, j'appris qu'une pluie terrible s'était abattue sur la capitale. A la sortie de l'aéroport, je reprenais de plein fouet la lourde chaleur et les gaz d'échappements des bagnoles. Une heure d'embouteillage. Des klaxons. Des routes grises sous la lueur orangée des réverbères. Les grands panneaux publicitaires qui se découpaient dans la nuit. On a le temps de regarder le paysage et de cogiter quand on revient... C'est un peu une nouvelle expérience que de retourner dans son nouveau pays. Je me suis demandé pourquoi j'étais parti... Pourquoi avais-je tant envie de quitter la France, Clermont, les volcans et la saucisse ? Pourquoi est-ce que ce sentiment me comprimait le cerveau les jours de déprime ? J'ai tranché dans le vif un soir de Juillet. Sans vraiment imaginer ce qui m'attendait. J'avais pensé, au départ, que c'était l'appel de l'inconnu, la volonté de se jeter dans le nouveau, qui m'avaient poussé à signer au Caire. Je n'en suis plus si certain. Il y a, c'est évident, le refus d'accepter une vie trop ordinaire. Je me dégoutais peu à peu, dans mon carcan clermontois, à visiter des bleds insipides, et à tourner comme une toupie sur un centre de gravité toujours identique. La hantise de manquer quelque chose me vampirisait littéralement l'an dernier. Et ce sentiment s'est estompé depuis que je vis en Egypte. Pas de problème ici, tout est très différent et chaque jour n'est pas un calque du précédent. Alors, vivre vraiment, enfin ? Ce serait accepter que ce que j'ai vécu pendant toutes ces années en Auvergne n'aurait été que pure perte. Parce que, j'ai fait de belles rencontres. Des amis ou des profs, tous ont forgé quelque chose en moi. Partir en Egypte, ce n'est qu'un autre chemin. Une autre voie. Pas plus.

Je ne parviens pas vraiment à expliquer cette pulsion que j'avais en France, et qu'il m'a fallu assumer plus d'une fois en Egypte. Quand j'ai laissé Carole à l'aéroport la première fois, je me suis rendu compte de la portée de ma décision. Seul, au milieu de 20 millions d'habitants, sans parler la langue, ça fout un peu le vertige. Mais, je l'avais décidé. Désormais, ce sentiment est assez diffus. Je regrette que Caco ne soit pas là, pour partager mes expériences. En revanche, je me félicite d'être parti. Alors, bonté, pourquoi ???

Je ne crois pas que l'on sache vraiment pourquoi on décide qu'un beau jour, il faille mettre les voiles, et se tirer vers d'autres horizons. Tout cela était peut-être inscrit dans mes gènes. Parce que mes grands-parents ont foulé le sol du Maghreb. Que mes parents ont eu un fils en Afrique noire... Je savais seulement qu'il fallait partir... Après, après, c'est de la littérature. "Certains pensent qu'ils font un voyage, en fait, c'est le voyage qui vous fait ou vous défait", écrivait Nicolas Bouvier...

dimanche 7 octobre 2007

France-NZ



Hier soir. Je pars rejoindre à Maadi deux profs de mon bahut, Sebastien et Alexandre. Seb a eu la riche idée d'appeler Drinkies le matin. Il a reçu ses Saqqaras... Elles sont au frais. Car, en période de Ramadan, c'est vraiment pas évident de trouver de l'alcool. Seule, une boîte (donc Drinkies), qui doit sans doute dégager d'intéressants bénéfices, permet d'obtenir ce que les Arabes ont inventé ! Al Khol bonté... Et mieux, ça signifie littéralement l'esprit ! Ils avaient tout compris à l'époque. Problème : ils ont pas mis de brevets !

Bref, les bières sont au frais, et la nuit est déjà bien tombée sur le Caire. Je m'embarque dans un taxi, et remonte le Nil vers le Sud. Arrivée chez Seb. Fait chaud dans le salon. Alex s'allonge sur un sofa, les pieds en l'air. J'entreprends de prendre une posture décontractée sur un gros fauteuil, mais, franchement, je stresse. J'ai peur, vraiment peur que ce soir on prenne une jolie valise. Y'a Seb qui a pronostiqué la veille à un Anglais qu'on jouerait contre eux en demi-finale. Et, les Anglais sont passés ! Increvables les Rosbeefs. Première mi-temps délicate. Je considère que c'est presque mort. Il fait vraiment chaud, malgré un gros ventilo qui tourne au-dessus de nos têtes. Et puis, et puis, Dusautoir applatit. Et moi je bondis, bras en l'air. Et je me prends le ventilo de plein fouet sur la main gauche. Je continue cependant à hurler : "J'ai mal mais j'm'en fous !". Seb me tend un sac de glace. Ca devient irrespirable dans l'appart, surtout quand les NZ reprennent l'avantage. Et là, oui là, entre Michalak. Soupirs de notre assemblée. "Michalak l'est tout pourri !". Alex rajoute "Michalak, c'est pas un nom de joueur de rugby, mais celui d'une barre de chocolat". Une minute plus tard, la magistrale percée du Toulousain provoque l'essai de Jauzion. C'est à peine croyable. Seb et moi-même nous prosternons devant la télé : "Pardon, on comprend rien au rugby, on est que des merdes, merci Michalak". C'est du n'importe quoi maintenant dans l'appart'. Nouvelle bière. Je suis pieds nus, la chemise ouverte, et j'arrive pas à m'asseoir. Seb est à genoux, sur le sol. Il reste 10 minutes, et que c'est long, 10 minutes ! Alex, toujours vautré comme un pacha sur le canapé, appelle au calme : "Y'en a un qui s'est converti à l'Islam, l'autre qui est devenu Zébulon !". Les minutes filent. Si impuissants devant la télé, si loin et si proche de la France. Et les frissons qui parcourent l'échine quand un Black percute. Les Bleus ne céderont pas. On a sorti les Blacks. Hurlement dans l'appart. Je crève probablement le tympan de Karim au téléphone, pour lui annoncer le résultat. J'ai pensé à la Place de Jaude, l'été dernier. Aux copains qui devaient eux aussi regarder le match. Si j'étais resté, on aurait sans doute fini à la Perdrix, à boire une Guiness en l'honneur des Bleus. Mais, je partage ma Stella, en Egypte. Si proche et si loin, finalement. Je crois avoir vécu le match avec encore plus d'émotions que d'habitude. Car, parfois, oui, parfois, on est content d'être Français...

Bawab au travail...


Et, c'est juste devant chez moi...

jeudi 4 octobre 2007

"Rends-moi mon argent... Coquin !"


Bon vivant rime avec prévoyant, comme disait le Pépé dans la Pub. Eh oui ! Nous sommes début Octobre, et, comme mes finances commencent à sérieusement se réduire (compte tenu de mon train de vie totalement surréaliste - encore une piscine cet après-midi dans un grand complexe de Maadi, la vie est parfois rude...), j'attendais avec une impatience croissante mon salaire. Et, comme d'habitude en Egypte, je n'ai pas été déçu. En plein milieu d'un cours, alors que j'horrifiais mes élèves, en leur narrant les déboires d'Oedipe, et de ses rapports parentaux parfois un peu tendus, une collègue vient cogner à mon huis, et me suggère d'aller fissa voir le "Monsieur-qui-a-eule-pognon". Dès la sonnerie, je me précipite littéralement à travers les escaliers. On m'avait en effet précisé que si nous n'étions pas là, lorsque sa majesté comptable daignait se rendre dans notre trou, ce brave Monsieur n'hésitait pas à partir, quitte à ne pas nous payer. Dès lors, je me présente en face de la salle de conférence, avec un petit groupe de collègues, attendant eux aussi le versement mensuel ("Mes gages ! Mes gages !", comme disait Sganarelle). Ben, n'empêche, c'est parfois du Molière, même si ça tourne plutôt à de l'Harpagonisme... Vous allez vite comprendre. D'emblée, on a la nette impression d'appartenir à un corps de fonctionnaires ukrainiens, faisant la queue pour acheter des rouleaux de sopalin ou une bouteille d'huile. Ce qui me semble étonnant, c'est le temps que ça prend. On entre chacun son tour dans la caverne d'Ali Baba, et la porte se referme sur le mystère. Vient enfin mon tour. Je rencontre alors l'une des jeunes femmes qui m'avait fait signer mon contrat, au mois d'août, à l'école primaire (base admnistrative, s'il en est). Je me souviendrai d'ailleurs longtemps de cette signature, alors que nous étions assis sur les toutes petites chaises d'enfants, sur une toute petite table, et que mes genoux me permettaient alors de supporter mon menton. Carole était avec moi, et je crois avoir dit que franchement, ça commençait bien ! Oh ! Un TOUT PETIT contrat ! Et, heureusement là, pas une toute petite paie... Pfffiou...

Bref, la jeune femme, qui répète à l'envie "Inch'Allah" (je vous jure, elle est impressionnante ! C'est du style : Vous pourriez me donner un stylo ? Si j'en trouve un, Inch'allah... - On pourrait judicieusement poursuivre par des dialogues ubuesques, lesquels doivent se tenir à son domicile : Chérie, tu me passes le sel ? Oui, Inch'Allah), m'invite à m'asseoir à côté d'un Monsieur rabougri et dégarni. Elle regarde la liste, annonce mon salaire en arabe, et prononce mon nom. Le type, qui ressemble véritablement à un guichetier de la Poste en fin de journée, secoue le crâne, mais ne dit rien. Je demeure interdit : on sait jamais, va pas dire une connerie comme d'habitude. Dans un long soupir, et fournissant un effort quasi prométhéen, le postier attrape alors une malette posée sur la table. Il fait sauter les deux clapets, et commence à sortir trois liasses de billets, bien épaisses, entourées d'élastiques. Là, j'ai vraiment le sentiment d'être tombé chez des Mafioso... Le parrain facteur me jette un regard vitreux, prononce une sentence en arabe, que la jeune femme me retraduit aussitôt : "Vous pouvez vérifier". Dans le même temps, M. Pages jaunes m'a tendu une minuscule bandelette de papier. Quelques chiffres, mon nom. Il faut signer. Pas de place. Je signe sur les chiffres. J'ai un salaire qui tourne autour des 14000 livres, ce mois-ci, à cause de divers frais. Alors, accrochez-vous. Ce salaire d'environ 1800 euros, m'a été versé en billets de 50 pounds !!! Ce qui ne fait finalement que 280 billets... Je commence à comprendre pourquoi ça prend du temps de récupérer son salaire. Je débute le fastidieux travail, et, alors que je me suis trompé dans mes comptes pour la troisième fois, je décide de jeter l'éponge. On va faire confiance aux Egyptiens... Gloups... Le type, d'ailleurs, semble honnête. Il trouve le moyen de me rajouter 3 pounds (= 40 centimes d'euros), ce qui arrondit bien mon tas volumineux...

De retour chez moi, je reprends la vérification, tombe sur le bon compte, et range précieusement le magot. Définitivement upper class ! Je retire cependant les 3 pounds de la pile. Faut pas déconner, ceux-là, ils vont vite servir. Plus vite que je ne le croyais. On sonne et Karim va ouvrir. La facture de Gaz à payer... Pour le mois d'août et le mois de septembre. Hier soir, Karim a payé les sushis. Je lui fais comprendre que je vais règler. N'ai-je pas, d'ailleurs, une véritable fortune en billets de 50 ? On nous tend la facture, et le type nous dit "Trrri, missteur, tri foreu gasse". Je l'observe incrédule : "Télata ?" (Ah oui, maintenant, je maîtrise totalement l'arabe, donc, vous étonnez pas si je finis par rédiger ce blog en égyptien un de ces jours). Le type acquiesce, et, Karim et moi ne pouvons nous empêcher d'éclater de rire. Je tends les trois pounds au type. "Mesh kitir ! Mesh kitir !", rigole-t-il.

Dans une colocation, il s'agit de partager les frais. Ayant fort justement réclamé un partage équitable de la dernière facture de gaz, Karim a inscrit sur notre tableau de frais mes 3 pounds.

On ne déconne pas avec l'argent en Egypte...

mardi 2 octobre 2007

Gard'rien


S'il y a une spécificité bien égyptienne, peut-être moyenne orientale - j'en sais rien ! -, c'est sans doute le Bawab. Mais, kéke c'est un Bawab ? Le bawab, c'est le gardien, le cerbère de l'immeuble où l'on crèche. Alors, comment qu'on reconnaît un Bawab ? Simone, c'est très simple. Tout d'abord, le Bawab est toujours, je dis bien toujours, vêtu d'une Djellaba. Sans doute parce que le costume évoque irrésistiblement un long pyjama, que c'est confortable, et qu'on ne doit mettre que quelques secondes à l'enfiler. Parce que, généralement, le bawab, l'en fout pas trop. Alors, bien sûr, c'est pas non plus un fonctionnaire de la SNCF. On est en Egypte ici ! Pas de ça chez nous ! Manquerait plus qu'il y ait un syndicat de bawabs ! (Comme vous pouvez le constater sur la photo, nous assistons ici à une réunion au sommet de deux bawabs, fournissant un travail démentiel, en arpentant la corniche).

Son cadre de vie, son lieu de travail se concentre à l'entrée de l'immeuble. Installé sur un banc, il papote avec les gens du quartier, se tenant dans deux positions bien distinctes. Tout d'abord, assis, une jambe repliée sous son avant-bras, l'autre pendant mollement devant. Il a alors le dos plaqué contre le mur et dodeline de la tête comme s'il venait de terminer sa sieste. La seconde position est nettement plus offensive, et prouve cette foi indestructible dans les vertus du travail, que porte en lui l'amical gardien. Il... s'allonge. Mais ne rechigne pas à tourner la tête de temps à autre, pour surveiller les allées et venues des habitants. Parce que, c'est aussi lui la voix du quartier. Mine de rien, mieux vaut ne pas froisser son bawab. Il racontera partout que vous forniquez à tout va avec des prostituées djiboutiennes, et que, si vous demandez Internet, ce n'est qu'à des fins lucratives : vendre des productions cinématiques accomplies lors de vos dernières débauches. Car, il fait la pluie et le beau temps. Tout le monde l'écoute, tout le monde le respecte, et croit aveuglément à ses paroles pleines d'une sagesse toute subjective. Dès lors, je me montre poli, voire carrément enchanté lorsque je croise l'indolente sentinelle. Après force courbettes et "Chokran" mielleux, on se sent rassuré. Et, Dieu soit loué, je ne parle pas Arabe, ce qui me permet de ne pas comprendre les revendications parfois bizarres du bawab. J'ai eu l'occasion d'observer deux bawabs. L'un d'eux réclama un jour un rasoir !

Le bawab est à l'image de ce pays. Il s'agit d'abord d'une société féodale, acceptant les castes, et les classes sociales. Renonçant aussi à briser les frontières. Chacun appartient à un groupe délimité, précis. Et, il ne faut pas espérer pouvoir transgresser ainsi les règles. Le bawab, qu'il soit amical ou non, incarne le rôle du souverain père, auquel il faut dire "Amen", lorsqu'on le rencontre. Comme une doléance...

Cependant, il n'y a rien, aussi, de plus souriant que cette fonction. Endormi sous son acacia, il incarne ce bonheur simple de laisser le temps filer. Et, cela aussi, c'est très égytien...

C'était, par ailleurs le sentiment de Flaubert, lorsqu'il partit visiter l'Egypte, à l'âge de 28 ans (sic !). Je vous cite juste un court extrait, ça vaut son pesant de cahouètes : "On vit dans une torpeur parfumée, dans une sorte d’état somnolent, [...]. Mais on n’est pas gai; on rêvasse trop pour cela. Rien ne dispose plus au silence et à la paresse. Nous passons quelquefois des jours entiers, Max[ime] et moi, sans éprouver le besoin d’ouvrir la bouche."

Ben voyons... Alors, question : le bawab a-t-il lu la correspondance de Flaubert ?