
Doucement, comme pris dans la douceur du climat de Novembre, je me laisse un peu glisser au rythme de l'Egypte. En fait, une certaine routine commence à s'installer. Une habitude, que je n'aurais finalement pas soupçonnée, s'est construite progressivement. Bien sûr, on peut toujours compter sur le Collège pour empêcher que l'ennui s'instille dans les esprits ! Chaque jour, une nouvelle idée lumineuse jaillit sous les crânes de l'admnistration. Visiblement inspirés par une lecture abusive et unilatérale de Molière, ces derniers déclinent la gamme de la Tartufferie. Et, déclament dans le désert de Zahraa el Maadi : "Couvrez ce sein que nous ne saurions voir !". La censure sévit ces derniers jours à la bibliothèque, et "Beaux-Arts Magazine" se voit désormais couvert de rubans anthracites, cinglant les poitrines et les sexes de femelles probablement damnées, au moins damnables. Et, dans ce gribouillage, les Muses obtiennent des sous-vêtements relativement sexy ! Rien n'échappe aux yeux attentifs des cerbères. La preuve ? Okapi, journal des 10-12 ans, a été amputé de sa couverture ! Quand je pense que ma propre mère m'avait abonné à ce démoniaque mensuel, sans mesurer les conséquences sur mon esprit de pré-adolescent ! C'est sans doute ce qui doit expliquer mes bacchanales quotidiennes...
Cependant, quelle joie simple de revenir à l'appart' le soir. Sortir du métro et remonter Sharya Dokki. Il est 17H30, et la nuit est déjà tombée. Le sport national débute alors : slalom olympique, entre les fissures de la rue, les restaurants vomissant des quantités de monde, et bien entendu, les bagnoles, qui avancent, que vous soyez en face ou pas. Ca grouille dans ce quartier : les vendeurs de clopes, les morceaux de viande pendues ostensiblement, les odeurs de fouls (je ferai un article uniquement consacré à la bouffe en Egypte... y'a plein de trucs à dire), et de poissons grillés. La poussière. Il faut prendre le temps de regarder les fruits et les légumes, de bien tourner dans sa paume les tomates, ou d'ouvrir dans la rue une pomme-cannelle, et de planter ses dents dans sa chair sucrée. Récupérer les chemises au pressing. Prendre une bouteille d'eau et le nescafé pour le lendemain. Et, enfin, revenir dans ma rue, sous les acacias. Saluer les divers bawabs, et les gardes devant l'ambassade. J'aime beaucoup les soirées au Caire. Dans l'appart', vers 20 heures, les colocs sont généralement tous là. On avise pour le repas. On fait la bouffe ? Bah, euh... La flemme est malheureusement une maladie aisément contractable : commander à bouffer ne coûte pas cher ! Traditionnellement, c'est toujours Karim qui saisit son portable, et parcourt son répertoire. Japonais ? Egyptien ? Libanais ? Pizza ? On tranche ce soir pour les sushis. Dans une demi-heure. Chacun regagne sa chambre, mais les portes restent ouvertes, histoire de pouvoir continuer les conversations déjà entamées. Arrive le sympathique livreur. Alors, seulement, on s'installe sur notre terrasse. Il fait doux, et sous nos pieds, on voit les arbres. Un muezzin lance son appel, profond et guttural. Devant nous, des maisons brunies par la poussière. La lune. Et les avions qui se posent, inclinent leurs aîles métalliques dans notre ciel. On entend au loin les klaxons de l'avenue, mais le calme domine. De temps à autre, mais rarement (bah ouais, ma mère lit ce blog !), donc TRES rarement, il arrive, parfois, mais vraiment c'est tout à fait exceptionnel, à tel point que je me demande si ça vaut le coup d'en parler, tellement caarrivejamais, non sans déconner, j'aimemêmepasça, donc, ROY et KARIM - mais pas moi, hein, moi je bois que de l'eau, et en plus elle est férégineuse- sirotent un gin tonic, les sushis sur les genoux. Et, dans ces instants de pure zénitude, il n'y a rien dire, simplement savoir que tout cela est précieux. Mais, le fin du fin, c'est de se mettre un film, sur le balcon. En fait, c'est à tour de rôle, le but étant de pouvoir partager ensemble un bon moment. Alors, à chacun son paradis... Mais, sur le balcon de mon immeuble, je m'approche du ciel, parfois...